CHAPITRE PREMIER
Quand le sabrolaser fendit l’air avec un sifflement rageur, Obi-Wan Kenobi ne vit pas la lumière rouge devant lui : il portait un bandeau sur les yeux. Mais la Force lui avait permis de savoir à quel moment plonger pour éviter le coup. La lame était passée très près. Assez pour qu’il sente la chaleur intense qu’elle dégageait.
– C’est bien ! cria Yoda depuis l’autre extrémité de la pièce. Par tes sentiments laisse-toi guider.
Ses encouragements stimulèrent Obi-Wan. Pour un garçon de douze ans, il était déjà grand et fort, un avantage aux yeux de certains. Cependant, sa taille et sa carrure ne l’aidaient pas vraiment lorsqu’il fallait faire preuve de rapidité et d’agilité. Et surtout, elles ne jouaient pas sur la Force, qu’il était loin de maîtriser.
Obi-Wan tendit l’oreille pour surprendre le sifflement du sabre de son adversaire, sa respiration, ou le bruit de ses pas. Dans cette pièce exiguë au plafond particulièrement haut, le moindre son éveillait mille échos. Pour corser l’exercice, on avait posé plusieurs blocs de béton un peu partout. S’il voulait les éviter, il ne pouvait se fier qu’à la Force, sinon il risquait de perdre l’équilibre.
Dans son dos, Yoda l’avertit :
– Ne pas baisser ta garde, tu dois.
Obi-Wan obéit et leva son arme… pour plonger aussitôt sur la droite, évitant le sabre de son agresseur. Il effectua un roulé-boulé juste au moment où la lame s’abattait sur le sol. Le sabre siffla à nouveau dans les airs. L’adversaire, à bout de nerfs, attaquait maintenant de façon désordonnée. Parfait.
La sueur dégoulinait sous le bandeau et lui piquait les yeux, mais Obi-Wan n’en tenait pas compte. Il s’imaginait dans la peau d’un Chevalier Jedi affrontant un pirate de l’espace… Un Togorien aux canines aussi longues que ses propres doigts. Obi-Wan vit la créature blindée qui le regardait à travers les deux fentes vertes de ses yeux. Ses puissantes griffes pouvaient mettre un humain en pièces comme on déchire une feuille de papier.
Cette vision le remplit d’une énergie nouvelle. Il oublia ses craintes : en quelques secondes, il fut totalement en phase avec la Force. Elle coulait dans ses veines, lui donnant l’agilité et la rapidité nécessaires.
Obi-Wan fit virevolter sa lame et para le coup suivant. Le sabre de l’attaquant percuta le sol. D’un bond prodigieux, Obi-Wan sauta par-dessus son assaillant, fit volte-face et plongea son arme dans le cœur du Togorien imaginaire.
– Aargh ! fit l’autre élève, surpris et furieux, en sentant la lame brûlante toucher son cou.
Si Obi-Wan avait utilisé un véritable sabrolaser, son adversaire aurait été tué sur le coup. Mais dans le Temple Jedi, les apprentis utilisaient des armes d’entraînement à puissance réduite. La lame ne laissa qu’une plaie bénigne que les guérisseurs soigneraient sans mal.
– C’était un coup de chance ! protesta l’apprenti vaincu.
Jusque-là, Obi-Wan ignorait son identité, car on lui avait passé le bandeau avant de le faire entrer dans la pièce. Maintenant, il reconnaissait cette voix : c’était celle de Bruck Chun. Un des apprentis les plus âgés du Temple, tout comme lui. Et Bruck espérait bien devenir Chevalier Jedi, lui aussi.
– Bruck, fit calmement Yoda, garde ton bandeau. Un Jedi n’a pas besoin de ses yeux pour voir.
Mais Obi-Wan entendit le bruit du bandeau jeté rageusement par terre. Bruck étouffait de rage :
– Espèce de lourdaud !
– Calme-toi, jeune homme ! fit Yoda d’un ton sec.
Chacun des étudiants du Temple Jedi avait ses points faibles. Obi-Wan ne connaissait que trop bien les siens. Jour après jour, il devait lutter pour ne pas donner libre cours à sa colère et à sa peur. Le Temple sondait aussi bien les caractères que les capacités de chacun.
Bruck lutta pour dompter sa propre colère, une braise qui pouvait bien vite se muer en une flamme dévorante. Il avait la rancune tenace. Un an auparavant, en arpentant un des couloirs du Temple, Obi-Wan avait trébuché et l’avait entraîné dans sa chute. C’était un accident, une maladresse, mais Bruck restait persuadé qu’Obi-Wan l’avait fait exprès. Il n’avait pas supporté les rires des autres étudiants et était entré dans une colère noire. C’est alors qu’il avait traité Obi-Wan de lourdaud.
Le surnom lui était resté. Lourdaud-bi-Wan.
Et le pire, c’est qu’il avait raison. Obi-Wan avait souvent l’impression que son corps grandissait trop vite. Il ne s’habituait pas à ses longues jambes ni à ses grands pieds. Un Jedi devait se sentir bien dans sa peau, mais Obi-Wan se trouvait maladroit. Ce n’est que lorsque la Force coulait en lui qu’il se sentait agile et sûr de lui.
– Allez, Lourdaud ! railla Bruck. On va voir si tu peux me battre une seconde fois ! La dernière, avant qu’ils ne te jettent du Temple !
– Cela suffit, Bruck ! dit Yoda. Un Jedi, la défaite comme la victoire, doit apprendre. Va dans ta chambre.
Obi-Wan tenta d’oublier ce qu’insinuait Bruck. Dans un mois, il aurait treize ans et devrait alors quitter le Temple. Plus son anniversaire approchait, plus Bruck s’acharnait sur lui. Si d’ici-là Obi-Wan n’était pas devenu Padawan, il serait trop tard. Il avait attentivement écouté toutes les rumeurs qui circulaient dans le Temple : il n’était pas prévu qu’un Jedi vienne chercher un Padawan – du moins pas avant la date fatidique. Il commençait à croire qu’il ne deviendrait jamais Chevalier Jedi. Cette peur se mua en colère et l’aveugla assez pour qu’il dise une bêtise.
– Inutile de le renvoyer, Maître Yoda. Je n’ai pas peur de l’affronter, même sans son bandeau.
Les joues de Bruck s’empourprèrent, et il fronça les sourcils. Yoda se contenta de hocher la tête en considérant le défi que son élève venait de lancer. En vérité, Obi-Wan était tout aussi épuisé que son adversaire. Il espérait bien que le Maître Jedi les renverrait tous deux dans leur chambre plutôt que de les autoriser à entamer un nouveau combat.
Néanmoins, après un long silence, Yoda déclara :
– Très bien. Continuez. Tu as beaucoup à apprendre. Garder ton bandeau, tu dois.
Obi-Wan se tourna vers son Maître et s’inclina. Il savait que Yoda était conscient de son état de fatigue. Mais il acceptait toutes les décisions du Maître, grandes ou petites, sans jamais remettre en cause leur sagesse.
Obi-Wan resserra son bandeau et força ses membres gourds à lui obéir. Il tenta d’oublier qu’il affrontait Bruck, et qu’il n’avait plus guère de chances de devenir un jour un Chevalier Jedi. Il préféra se concentrer sur l’image du pirate togorien et de sa fourrure striée d’orange dissimulée sous son armure noire.
Le garçon sentit la Force qui coulait en lui. Il la percevait aussi en Bruck et distinguait les ondes noires que générait sa colère. Sa première impulsion fut de combattre le feu par le feu et la rage par la rage. Il dut lutter pour ne pas y céder.
Bruck passa à l’attaque. Obi-Wan prit une posture défensive et se laissa guider par la Force, comme il l’avait fait précédemment. Il n’eut aucun mal à parer le premier coup, puis il fit un grand bond pour éviter le suivant et atterrit derrière une colonne. Les sabrolasers s’entrechoquèrent dans une gerbe d’étincelles, puis se séparèrent à nouveau. L’air s’était épaissi, comme alourdi par l’énergie que dégageait la bataille.
Les deux élèves s’affrontèrent longuement, virevoltant comme deux danseurs. Obi-Wan évita toutes les attaques, para coup après coup. Pas une seule fois il ne tenta de frapper Bruck.
« On va voir si je suis maladroit, se dit-il amèrement. Et si je suis aussi bête qu’il le prétend. Il devra bien admettre son erreur. »
Obi-Wan ruisselait de sueur. Tous ses muscles le brûlaient comme si son sang était en feu. Il avait du mal à respirer assez vite pour absorber tout l’air que ses poumons réclamaient. Mais tant qu’il ne se laissait pas emporter par la colère, la Force restait en lui.
Les gestes de Bruck étaient de plus en plus lents. Bientôt, Obi-Wan n’eut même plus à bondir pour échapper à ses assauts : il se contenta de parer les coups. Finalement, son adversaire abandonna la partie.
– Très bien, Obi-Wan, lança Yoda. Tu fais des progrès.
Le garçon éteignit son sabrolaser et l’accrocha à sa ceinture. Il arracha le bandeau et s’en servit pour essuyer son visage en sueur. À côté de lui, cassé en deux, Bruck tentait de reprendre son souffle. Il évita de croiser le regard d’Obi-Wan.
– Tu vois, reprit Yoda, pour défaire un adversaire, il n’est pas nécessaire de le tuer. Si tu vaincs la rage qui brûle en lui, il ne pourra plus rien faire. La colère est notre seul véritable ennemi.
Obi-Wan comprenait fort bien ce que voulait dire son Maître. Mais en voyant le regard furieux de Bruck, il sut qu’il n’avait pas vaincu la colère de son adversaire. Et encore moins gagné son respect.
Les deux garçons se tournèrent vers Yoda et se courbèrent avec solennité. Obi-Wan pensa à son amie Bant, impatient de partager sa joie avec elle.
– C’est assez pour aujourd’hui, dit Yoda. Demain, un Chevalier Jedi viendra au Temple pour se choisir un Padawan. Être prêts à l’accueillir, vous devez.
Obi-Wan tenta de dissimuler sa surprise. En général, lorsqu’un Chevalier venait chercher un Padawan au Temple, la rumeur se répandait des jours avant son arrivée.
– Qui est-ce ? demanda-t-il, le cœur battant.
– Tu l’as déjà rencontré, répondit Yoda. C’est Maître Qui-Gon Jinn.
En entendant ce nom, Obi-Wan se sentit soudain plein d’espoir. Qui-Gon Jinn était un grand Chevalier, un des meilleurs. Il était déjà venu au Temple pour se choisir des apprentis. Et chaque fois, il s’était retiré sans personne.
D’après la rumeur, Qui-Gon avait perdu son dernier Padawan dans une terrible bataille et avait juré de ne plus jamais prendre d’apprenti. Si, une fois par an, il se rendait au Temple, c’était sur la demande du Conseil des Maîtres. Il passait quelques heures à inspecter les élèves, à les observer de près comme s’il cherchait quelque chose que nul autre ne pouvait voir.
Finalement, Obi-Wan n’était plus si enthousiaste. Qui-Gon avait déjà rejeté bien des jeunes guerriers. Quelle chance avait-il d’attirer son attention ?
– Il ne voudra jamais de moi, dit-il d’un ton amer. Il m’a déjà vu combattre et ne m’a pas appelé pour autant. Personne ne me prendra jamais !
Yoda scruta le jeune garçon de ses yeux pleins de sagesse.
– Humph ! L’avenir est en perpétuel mouvement. Je ne peux en être sûr, mais j’ai senti… que plus clément serait ton destin.
Le ton étrange de Yoda intrigua Obi-Wan.
– Va-t-il me choisir ?
– De Qui-Gon cette décision dépend – et de toi. Reviens demain et bats-toi en te servant de la Force comme d’un allié. Peut-être acceptera-t-il de te prendre. (Yoda posa sur son bras une main rassurante.) Quoi qu’il en soit, cela n’a pas d’importance. Le Temple tu quitteras bientôt. Mais pour tout te dire, je regretterai de voir partir un élève aussi doué.
Obi-Wan leva sur son Maître des yeux emplis de surprise et de fierté. Yoda était plutôt avare de compliments. Voilà pourquoi on tenait son opinion en si haute estime. Le garçon se dit alors que même s’il ne devenait jamais Chevalier Jedi, il avait gagné le respect de son Maître. Ce qui était déjà énorme.
Yoda tourna les talons et quitta la salle de son pas traînant. La lumière diminua automatiquement, plongeant la pièce dans la pénombre.
Dans son dos, Bruck éclata d’un rire cruel.
– Ne va pas te faire des idées, Lourdaud. Yoda veut juste te remonter le moral. Les Maîtres ne peuvent pas t’imposer à un Chevalier. Et il y a bien des candidats plus dignes que toi d’être Padawan.
Obi-Wan se raidit sous l’effet de la colère. Il faillit répliquer qu’il ne figurait pas non plus parmi ces candidats idéaux, mais il se ravisa et se dirigea vers la porte. À peine avait-il fait un pas qu’il reçut un coup sur la nuque. Bruck l’avait frappé avec une sonde d’entraînement.
Obi-Wan se retourna et lui fit face. Il constata que celui-ci avait allumé son sabre. La lumière rouge illuminait la pénombre d’une lueur sanglante.
– Prêt pour un nouveau round ? demanda Bruck.
Obi-Wan jeta un regard vers le couloir désert. Yoda était parti. S’il donnait à son adversaire la correction qu’il méritait, il n’y aurait pas de témoins. Or Bruck le provoquait pour le faire sortir de ses gonds.
« Pourquoi ? » se demanda Obi-Wan.
Soudain, la vérité lui apparut.
– Tu as toujours su que Qui-Gon Jinn allait venir chercher un Padawan, pas vrai ? dit-il lentement.
Bruck éclata de rire.
– Oui, et j’ai tout fait pour que tu l’ignores. Si cela ne tenait qu’à moi, tu ne l’aurais appris qu’après son départ.
Le garçon entendait bien devenir le Padawan de Qui-Gon ! Et pour cela, Obi-Wan devait échouer. Bruck l’avait empêché de se préparer et, maintenant, il essayait de le mettre hors de lui. Or, Obi-Wan savait que la colère et l’impatience étaient mauvaises conseillères : elles lui avaient déjà fait du tort – et plus d’une fois.
Comme il vivait dans le Temple depuis sa plus tendre enfance, il n’avait jamais rencontré l’avidité, la haine ou le Mal pur et simple. Les Maîtres préféraient que les enfants n’y soient pas exposés, afin qu’ils ne risquent pas de se tourner vers le Côté Obscur de la Force.
Obi-Wan venait de comprendre ce qu’était l’égoïsme. Or, il ne fallait pas que Bruck sache à quel point la visite de Qui-Gon était importante pour lui, ni qu’il sente la peur qui montait en lui de ne jamais devenir Padawan.
Obi-Wan sourit à son adversaire.
– Bruck, lorsque tu atteindras tes treize ans, dans trois mois, j’espère que tu deviendras un grand fermier.
C’était la pire insulte qu’il puisse concevoir : elle laissait entendre que Bruck maîtrisait si mal la Force que seul le Corps Agricole voudrait de lui.
Brandissant son sabrolaser, Bruck sauta sur lui avec un feulement animal. Obi-Wan virevolta en poussant un cri de guerre. Les deux garçons se retrouvèrent au centre de la pièce. Les lames s’entrechoquèrent avec un bourdonnement rauque.
Les combattants luttèrent jusqu’à ce qu’ils n’aient plus la force de lever un bras. Lorsqu’ils quittèrent la salle d’entraînement d’un pas chancelant, ils étaient couverts de bleus et de brûlures.
Personne n’avait remporté le combat. Ils avaient perdu tous les deux.
Tandis qu’Obi-Wan retournait dans sa chambre, Bruck prit un ascenseur qui le mena aux étages supérieurs du Temple, là où les guérisseurs exerçaient leur art. Il entra en boitant dans le cabinet du médecin. Ses vêtements étaient lacérés, roussis par les coups de sabre, et il saignait du nez, mais à le voir chanceler, on l’aurait cru plus mal en point encore.
Lorsque le médecin le vit, sa première question fut :
– Que s’est-il passé ?
– Obi-Wan Kenobi…, hoqueta-t-il avant de faire semblant de s’évanouir.
L’un des guérisseurs le regarda, puis dit sèchement à un droïde :
– Va prévenir les Maîtres.